Compliance et anti-corruption en Amérique latine : entre réussite et zones d’ombre (Partie 2/2)

Compliance

(Pour lire la première partie, cliquez ici) L’enquête Lava Jato, comme tant d’autres opérées au niveau national par chaque pays à partir de 2014 (par exemple, l’affaire Penta au Chili, l’affaire Club de la Construccion au Pérou ou encore l’affaire Cuadernos de las Coimas en Argentine, impliquant directement l’ancienne Présidente Cristina Kirchner) met en lumière […]

(Pour lire la première partie, cliquez ici)

L’enquête Lava Jato, comme tant d’autres opérées au niveau national par chaque pays à partir de 2014 (par exemple, l’affaire Penta au Chili, l’affaire Club de la Construccion au Pérou ou encore l’affaire Cuadernos de las Coimas en Argentine, impliquant directement l’ancienne Présidente Cristina Kirchner) met en lumière les relations étroites, et parfois frauduleuses, entre le monde politique et le monde entrepreneurial, notamment dans le secteur de la construction. La deuxième partie de notre analyse.

La politisation des agences anti-blanchiment : le cas du Mexique et du Brésil 

Le Brésil et le Mexique ont connu d’importantes évolutions politiques, avec l’arrivée au pouvoir de figures populistes qui, de manière différente, se sont appropriées le thème de l’anti-corruption.

Au Mexique, l’Unidad de Intelligencia Financiera (UIF), l’entité en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent, est désormais la pointe de lance dans la guerre que le Président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) mène contre le pacto de corruptos (gouverneurs, figures politiques ou entrepreneurs corrompus). Sous la direction de Santiago Nieto Castillo (un ancien procureur électoral limogé par l’administration précédente), le nombre de compte gelés passe d’une moyenne de 3 500 par an à plus de 12 000 en 2019.

Alors que les affaires dont se saisit l’UIF ciblent des personnages de premier plan (comme l’ancien PDG de Pemex, Emilio Lozoya, ou le juge de la Cour Suprême Eduardo Medina Mora), dont les faits de corruption sont avérés et prouvés, les noms des enquêtés ont une chose en commun : aucun d’entre eux n’est partisan du gouvernement d’AMLO. De ce fait, l’autonomie de l’UIF est fortement remise en question, et son activité est perçue comme la tentative d’AMLO d’éliminer politiquement ses opposants.

Au Brésil, la politisation des agences anti-corruption a pris une tournure différente depuis l’élection de Jair Bolsonaro à la Présidence de l’Etat. Si la lutte contre la corruption est l’un des piliers de son programme électoral, avec la promesse d’augmenter considérablement le nombre d’effectifs du COAF et de transférer l’agence du Ministère de l’Economie à celui de la Justice, l’enquête du COAF sur le fils aîné de Bolsonaro (sénateur), suspecté d’avoir reçu des pots-de-vin, change la donne.

Suite au recours soumis par le sénateur Bolsonaro en juillet 2019, la Cour Suprême rejette les conclusions du COAF et décide de geler toutes les activités contre le sénateur Bolsonaro, sous prétexte qu’elles violaient le droit à la vie privée. La suspension des activités durera quatre mois et pour certains elle est le résultat d’une mainmise politique sur le système judiciaire national. Parallèlement, en août 2019 le chef du COAF, choisi par le Ministre de la Justice Sergio Moro, est limogé.

Contrairement aux promesses faites en campagne électorale, le COAF ne sera jamais mis sous la responsabilité du Ministère de la Justice, au point qu’en avril 2020, le ministre de la Justice Moro démissionne et manifeste son opposition à la lutte acharnée que le Congrès et Bolsonaro mènent non pas contre la corruption, mais contre le COAF lui-même.

Quelles solutions ?

La manipulation des dispositifs anti-corruption (agences ou lois) pour des fins politiques est donc un risque pressant et avéré dans la zone, l’ingérence du monde politique minant fortement l’efficacité des efforts anti-corruption, surtout dans le cadre de gouvernements ouvertement populistes. En effet, au-delà de l’autonomie, c’est également la neutralité que toute agence anti-corruption devrait avoir qui est remise en cause.

L’indépendance de ces agences s’appuie sur l’existence de règles strictes, d’un personnel bien formé et technique avant tout et d’une surveillance renforcée. En ce sens, le Brésil est mieux alloti que le Mexique pour entreprendre cette transformation, compte tenu de la proximité de l’UIF vis-à-vis du Président AMLO.

Une collaroration plus étroite avec des organismes internationaux, comme le GAFILAT ou le Egmont Group, pourrait être une solution au problème de la politisation des agences anti-corruption. Les organisations intergouvernementales peuvent en effet fournir aux pays émergents une aide cruciale pour évaluer les risques et élaborer des réglementations.

La nécessité d’une vigilance renforcée

Malgré les efforts faits par ces Etats du continent pour contrecarrer un phénomène, celui de la corruption, qui peut être qualifié d’endémique, il est primordial de continuer d’être vigilant vis-à-vis des entreprises locales, ou du moins de leurs pratiques, et pour cela les outils d’analyse des tiers restent d’importants dispositifs à la fois d’anticipation et de prévention. Cette tendance se confirme d’ailleurs par le nombre croissant de due diligence et de risques pays que Sésame a réalisé depuis 6 mois.