SNC-Lavalin : Le Canada en porte-à-faux avec ses engagements internationaux.

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Aujourd’hui, le cadre réglementaire international liant les Etats vis-à-vis de la corruption ne permet plus la défense des champions économiques nationaux. La désormais affaire d’Etat impliquant SNC-Lavalin et l’administration Trudeau illustre cet état de fait. Le Canada subit actuellement les secousses du scandale de corruption et d’ingérence politique impliquant son géant de l’ingénierie et de […]

Aujourd’hui, le cadre réglementaire international liant les Etats vis-à-vis de la corruption ne permet plus la défense des champions économiques nationaux. La désormais affaire d’Etat impliquant SNC-Lavalin et l’administration Trudeau illustre cet état de fait.

Le Canada subit actuellement les secousses du scandale de corruption et d’ingérence politique impliquant son géant de l’ingénierie et de la construction, SNC-Lavalin. En effet, Mme. Wilson-Raybould, ancienne Ministre de la Justice, aurait été la cible de pressions de la part de membres du cabinet du premier Ministre canadien, allant jusqu’au Premier Ministre lui-même. Ainsi, la ministre démissionnaire a déclaré lors de son témoignage devant le Comité permanent de la justice, que le Premier Ministre lui avait demandé de « trouver une solution » qui éviterait à SNC-Lavalin de supprimer des emplois et de déménager de Montréal.

Ces allégations d’ingérence politique auraient donc été principalement exercées dans le but que Mme. Wilson-Raybould offre à SNC-Lavalin la possibilité d’un accord avec la justice. Cet accord aurait pu être mis en place par l’intermédiaire d’un Remediation Agreement Regime (RAR), récemment mis en place au Canada.

Ce nouveau type d’accord le RAR, adopté le 19 Septembre 2018, aurait pu donc permettre à SNC-Lavalin d’aller vers une sortie de crise négociée. Ce faisant, cet accord aurait éloigné le spectre d’une exclusion des marchés publics pour dix ans. Beaucoup d’encre a coulé sur une affaire qui dure depuis 2013, chaque partie présentant ses propres arguments pour sa défense. Toutefois, la mise en avant d’un argument en particulier, la défense des intérêts économiques du Canada, soulève aujourd’hui un point fondamental : le respect par un Etat de ses engagements internationaux.

En effet, le Canada est aujourd’hui un Etat partie à la Convention OCDE sur la lutte contre la corruption. Or, au sein de cette convention, l’Article 5 stipule que les intérêts économiques nationaux ne peuvent en aucun cas interférer avec la poursuite de cas de corruption transnationale.

« Les enquêtes et poursuites relatives à la corruption d’un agent public étranger sont soumises aux règles et principes applicables de chaque partie. Ils ne doivent pas être influencés par des considérations d’intérêt économique national, l’effet potentiel sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales impliquées. »

Toutefois, désormais, avec le refus de tout RAR par le procureur en charge du dossier, puis le témoignage de Mme. Wilson-Raybould parlant de «menaces voilées» de la part du cabinet du Premier Ministre. Le gouvernement se retrouve dans une situation très délicate. En effet, outre la gestion d’une affaire d’Etat, le gouvernement canadien se doit de gérer la mise en cause vitale d’un de ses acteurs économiques les plus importants, et ce sans pour autant interférer dans une procédure judiciaire en cours.

Avec une telle interférence, si cette dernière était avérée, l’OCDE pourrait se saisir de la question. De fait, le groupe de travail de l’OCDE sur la corruption aurait la possibilité d’intervenir, dans la mesure où cette situation contreviendrait au respect de la Convention précédemment citée.

Ce point avait par ailleurs déjà été évoqué par le passé. En 2013, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption, lors de la Phase 3 de son suivi de l’implémentation par le Canada de ladite Convention, avait déjà fait expressément référence aux intérêts économiques nationaux dans sa recommandation 4(a).

« En ce qui concerne l’application du CFPOA (Canadian Corruption of Foreign Public Officials), le groupe de travail recommande que le Canada: a) clarifie le fait qu’en enquêtant et en poursuivant des infractions au CFPOA, la prise en compte de l’intérêt économique national, des effets potentiels sur les relations avec un autre Etat ou de l’identité des personnes physiques ou morales impliquées , ne sont jamais convenables; (Convention, Article 5; Commentaire 27; 2009 8 Recommandation IV et Annexe I, paragraphe D) »

Si une telle violation de l’Article 5 de la convention OCDE se voyait avérée, la défense du gouvernement canadien sur la préservation des intérêts économiques de SNC-Lavalin, et donc, in fine, ses intérêts économiques nationaux, s’étiolerait. La Phase 4 du suivi de l’implémentation de la convention OCDE, programmée en Juin 2021, devra donc être étudiée à la loupe. Fait important, ce suivi du Canada sera réalisé par ses pairs, en l’espèce l’Autriche et le Royaume-Uni. Avec le recul, nous pourrons alors comprendre les évolutions et implications engendrées par ce marasme politico-judiciaire au Canada.

Malgré cette crise, SNC-Lavalin a été choisi comme preferred bidder pour la Trilium Line à Ottawa. Le closing financier du projet sera donc un excellent indicateur des suites de l’affaire SNC-Lavalin – les banques feront-elles confiance à un constructeur en tourment ?